Jeudi soir - Au vu de la météo et du peu de vent prévu à partir de samedi, nous décidons de partir dès jeudi soir pour profiter du vent au portant dès la nuit.

C’est un départ rapide à environ 6 nœuds toute la nuit, pas trop de vagues, parfait pour bien dormir. Le lendemain matin, lors de mon quart le vent forci un peu, des grains traînent leurs nuages autour de nous.


Vendredi matin – 74 miles nautiques en 12h, on est plutôt contents de notre moyenne ! Si ça continue comme ça, on va filer à Gibraltar en mode express.

Dans la journée, Rémi nous pêche un joli petit poisson, type petit thon ou bonite. Avec celui de la veille, cette première navigation a été marquée par la cuisine de la mer : court-bouillon, papillote, four, barbecue...


Le vendredi en fin d’après-midi, ça se gâte, de moins en moins de vent, obligés de mettre le moteur à 21h.


Samedi – toujours pas de vent… la loose. Mais on aperçoit des cachalots le long de la côte de Carthagène. Puis un bateau nous fonce obstinément dessus. Ce sont les gardes-côtes espagnols. Ils souhaitent connaître notre port de départ et de destination, le nombre de personne à bord et le pavillon sous lequel on navigue. On passe le test avec succès.


Finalement, pour faciliter les choses, le peu de vent qu’il y a, décide de venir de face… Rallumage du moteur.


On passe le cabo de Gata juste avant Almeria en début de soirée.


Les journées passent et se ressemblent, quelques cargos pour animer le radar, mais rien de bien méchant. Entre l’AIS et le radar, la navigation, même de nuit, au milieu des cargos reste vraiment confortable, on oublie l’angoisse de

« Mais dans quel sens il va ? Il serait pas en train de nous foncer dessus celui-ci ? »

et autres questions existentielles…


Les nuits se répartissent en quart de 3h, généralement Rémi prend le premier, puis on alterne. J’ai la chance d’avoir ceux du matin, avec parfois le lever de soleil entre les nuages.


Dimanche – La nuit a été ponctuée par les messages d’alerte sur la VHF (radio),


« All ships, all ships, all ships, Radio Motrill-Melilla-Malaga, Radio Motrill-Melilla-Malaga, Radio Motrill-Melilla-Malaga … »

ou dans sa version espagnole


« Llamada general, llamada general, llamada general, aqui radio… »


Je ne vous fait pas le message en VO, j’en serais bien incapable, mais les versions espagnoles et anglaises avec un accent espagnol à couper au couteau à la suite sont bien nécessaires pour comprendre ce dont il est question.

Globalement, le message porte sur une embarcation de migrants à la dérive avec 47 personnes à bord entre la côte africaine et la côte espagnole. On nous demande d’être vigilant et de reporter toute information utile à la radio.

Du coup, on veille. En se posant des questions. Qu’est ce qu’on fait si on tombe sur cette fameuse embarcation de 47 personnes ? Difficile de s’approcher, si les personnes sont en détresse et qu’elles souhaitent monter dans le bateau, c’est un coup à couler…


Le dimanche matin, je laisse le quart à Rémi et tente d’aller me coucher. Quelques minutes plus tard, Rémi me dit

« Il y a un truc dans l’eau là-bas qui flotte… je fais un détour pour aller voir ou pas ? »,
« Euh… si c’est un bateau avec 50 personnes, peut-être pas ?  »


Clairement ça semblait plus être quelque chose d’isolé, on y va.


A la jumelle, l’angoisse de tomber sur un corps nous étreint, sans qu’on ose se le dire à voix haute, mais nos craintes se confirment. Un corps, chaudement habillé, la taille entourée d’une chambre à air en guise de bouée, flottant le visage dans l’eau.


Coup dur. La triste réalité des frontières et des migrations nous explose en plein visage.


Tout en restant à distance respectueuse, on appelle la radio. On leur indique notre position. Ils préviennent la guardia civil et nous demande d’attendre sur place, le temps qu’ils arrivent. Une demi-heure plus tard, un hors-bord nous fonce dessus. Trois hommes de la guardia prennent nos identités, les papiers du bateau en photo puis nous laissent repartir.

Aventure brève mais triste et intense.


On repart, au moteur, puisque la mer est d’huile et le vent se fait désirer.


La nuit du dimanche à lundi, au large des côtes sud espagnoles, un groupe de quatre dauphins nous accompagnent ponctuellement mais régulièrement. Ils dansent devant l’étrave, jouent au milieu des planctons luminescents, tels des créatures fantasmagoriques tout droit sorties d’un animé de Hayao Miyasaki, la silhouette des dauphins apparaît nimbés de cette fluorescence presque surnaturelle. Difficile de décrire ou de faire ressentir ces instants de poésie… Cette photo trouvée sur internet représente le mieux ce que l’on a pu voir.

 

En fin de nuit, un brouillard se lève à l’improviste, plus aucune visibilité, ambiance ouatée et un peu de pluie. Encore une fois, le radar et l’AIS sont bien utiles.

 

Lundi matin – Rémi me dit qu’on devrait être à Gibraltar dans l’après-midi. Bonne surprise, car je m’étais préparée à passer une nuit de plus en mer. C’est un rythme et une sensation auxquelles on s’habitue finalement très vite.

On aperçoit le rocher de Gibraltar qui grossit à la vitesse du moteur. En milieu de journée, suffisamment de vent nous arrive du détroit pour pouvoir tirer des bords. Bords qui nous ont permis de voir le rocher sous toute ses coutures. Falaise impressionnante, tout droit sortie des flots.

En face, de l'autre côté du brouillard et des cargos, on aperçoit les côtes africaines pour la première fois.


Tout pile 4 jours après notre départ de Formentera, arrivée au port de la Linea de Conception, juste à côté de Gibraltar, mais en côté espagnol. Pas besoin de formalités, on reste dans l’espace Schengen et Gibraltar reste accessible d’un coup de pédale de vélo pliant.


Le ponton sur lequel on nous positionne, semble être celui des français qui se préparent pour aller vers les Canaries. Ce qui nous rassure, nous ne sommes pas trop en retard sur la météo.